Argentique et numérique
Du plaisir de la mémoire
à la technique du souvenir
La retouche est aujourd’hui usuelle, que ce soit par un système intuitif pour les amateurs ou poussé jusqu’à l’artisanat de haute voltige pour les pros. Après l’ère de l’argentique, le numérique a fait son entrée avec ses facéties d’utilisation, ses pannes et ses capteurs qui glissent… Aujourd’hui cette technologie est fiable et s’est démocratisée jusqu’à l’agonie du Polaroïd et autres niches photographiques. Il est pourtant clair que pour capturer Martine à la plage, il est bien plus aisé d’effacer et de recommencer. Cette liberté s’oppose à la rigidité du celluloïd de la pellicule qui nous coûtait une petite fortune. Parfois, une fois le voyage achevé, les bagages dépliés et les affaires rangées, nous pouvions voir, enfin, admirer le carnage de la pellicule voilée par le soleil. On ne pressait donc pas à tout va le doigt sur la détente, embusqué jusqu’au clic qui entérinait l’instant sacré, voire sacralisait l’anedoctique dans notre mémoire et pour la postérité.




On se rend compte des années plus tard que la qualité des photos de nos grand-parents, du moins que les défauts avaient un vrai charme. Forts de notre inexpérience du numérique, les images tombent comme les douilles d’un tir d’assaut, les filtres du développement post-production faisant leur affaire pour simuler l’argentique d’antan rajoutant par-ci et par-là des pétouilles pour cacher la misère. Serait-on mal à l’aise avec la technologie récente ? La modernité fixerait-elle la preuve de l’instant plutôt que la beauté du moment ? Si la pellicule écrivait les ombres et les lumières par son grain, il en est tout autre pour la capture numérique, le capteur écrivant, quant à lui la lumière perçue. Imaginez tout simplement qu’il faille cramer les cimes pour éclairer les vallées. Une ombre est alors une lumière de faible intensité, soit une image peu écrite rééquilibrée par le calcul de la puce embarquée.
A la douceur de l’argentique s’opposent les rougeurs et autres interprétations, l’image ne fouille plus de la même manière. Les objectifs piquent trop. Il nous faudra utiliser de véritables projecteurs de cinéma pour révéler l’instant orchestré. N’y a t-il pas dans certains cas, un paradoxe entre un présent étiré et la rapidité offerte par la technologie ? En finale, le tri prendra quelques heures. La vraie image photographique sera celle qui pour un spécialiste, aura subi son développement numérique et son lot de retouches de base, sans compter qu’on ne peut pas agrandir une image native autant qu’on le voudrait. Il ne s’agit plus là de la projection du grain mais du re-calcul des pixels, ce qui aura pour conséquence de créer des dérives chromatiques, des artefacts et de pulvériser la netteté de l’image. S’opposant ainsi à la promesse du capteur et son coût non négligeable.
Deux techniques de retouche-photos s’opposent. Pour la première, il s’agira de retirer les défauts de l’image, ce que l’on appelle les pétouilles et corriger les lumières comme on le faisait à la baguette magique (tige de fer avec morceaux de carton attaché) pour l’agentique et au pinceau de 2/0 avec nos encre Spotone, le but étant de donner l’intensité à l’image sans la dénaturer. Pour la deuxième, il s’agira de retirer non seulement les pétouilles mais aussi de gommer, estomper, changer, rapiécer… Technique utilisée dans la publicité notamment, un portrait sera objetisé, tel un mannequin à chapeau. Dans cet exemple le portrait n’est pas l’objet du désir, c’est le produit qui lui est associé qui ne devra pas être parasité, hors personnalités et égéries qui nous feraient porter des tranches de concombre en guise de lunettes. On ne vise plus le regard d’une personne, mais on cible le groupe. Et pour conclure, l’amateur se familiarisera avec la composition et la sophistication de l’image, pour fabriquer un inconscient collectif pendant que le professionnel tentera de retrouver un certain naturel.